Une nuit d’encre vient tout juste de tirer sa révérence. Derrière elle, une étoile oubliée trône au-dessus d’un horizon faiblement éclairé. À travers le flou et le familier quelque chose cherche à naître. Et me voilà devant l’aurore qui se lève. Cette heure fragile du monde.
Le moment du jour où je m’assois sur un petit banc de bois. Je suis à pratiquer l’art de la pleine attention. Ici, « pratiquer » n’est pas tout à fait adéquat. Il ne s’agit pas de m’entraîner en vue d’une compétition ou d’une performance. Il ne s’agit pas d’un exercice mental, pas plus que d’un acte de volonté. Ni même d’une technique à laquelle je m’exerce pour devenir plus concentrée. Nul besoin d’effort ou d’acharnement. Je ne tente pas d’être calme. Je ne recherche aucun état particulier, même pas celui de la relaxation.
Il est évident que, si quelqu’un passait et me demandait ce que je fais là, il me faudrait répondre : rien. Je ne fais rien. À l’extérieur, du moins. Or, à l’intérieur de moi, tous les possibles se rencontrent. L’esprit de l’art de l’attention est une manière d’être à soi et au monde. Une façon ouverte et bienveillante d’entrer en lien avec la réalité en devenant pleinement attentif au moment présent. Nous pouvons ainsi mieux voir les conditionnements qui nous limitent intérieurement. Et, progressivement, les transformer en des attitudes plus constructives dans notre quotidien. Ce faisant, nous cessons de vivre sur le pilote automatique. On l’aura compris, l’art de l’attention n’est pas réservé exclusivement à un espace-temps dans la journée.
Notre vie entière est façonnée par cette manière d’être.
L’ascèse est terminée, je descends au rez-de-chaussée de la maison. Le silence dans la cuisine fait écho aux bruits de mes pas. Par la grande fenêtre, sous la lumière blanchâtre des réverbères, un vent léger fait virevolter quelques flocons. Auparavant, je ne me serais pas attardée si longuement à leur présence. Or, depuis que j’en sais plus sur la formation de ces minuscules cristaux, je ne les vois plus comme avant. L’existence d’un flocon de neige commence par une simple particule de poussière. D’environ un dixième de millimètre de diamètre. À la saison froide, l’air se condense sur le grain de poussière jusqu’à former une gouttelette. À cette étape, elle est encore trop légère pour tomber du ciel toute seule. Elle devra patienter jusqu’à ce que la température chute au-dessous de
zéro avant d’amorcer sa descente.
Dès que le froid s’en saisit, la goutte se transforme en un flocon. Il ne faudra pas moins de 100 000 gouttelettes pour former un seul flocon de neige de la forme d’une petite étoile à six branches. Lors de leur descente, certains prendront l’aspect d’une aiguille, d’un cylindre, d’une larme à six pointes, tandis que d’autres ressembleront à une colonne creuse, à un filament ou à d’autres formes hexagonales. Tout cela pour une durée de vie de quelques secondes. Pour toutes ces raisons, quand j’en vois tomber du ciel, je tente d’en faire le décompte aussi soigneusement que ceux qui comptent leurs bénédictions.
En ce monde, les vraies richesses sont si modestes, si éphémères, qu’elles passent souvent inaperçues. Nous pouvons toujours nous acharner à attendre de grandes choses de l’existence, mais si nous ne pouvons entrevoir le miracle dans l’ordinaire de nos vies, c’est peine perdue. La pire des choses sur cette terre n’est pas de mourir, mais de vivre comme si nous étions déjà morts !
Il nous faudrait reprendre les mots d’Albert Einstein : « Il n’existe que deux façons de vivre votre vie. L’une comme si rien n’était un miracle. L’autre comme si tout était un miracle. »
Tout est là. Tout est dit.
Très tôt dans notre existence, quelqu’un devrait nous enseigner la valeur d’un flocon de neige, d’une lune qui monte au ciel, d’une pluie qui tombe, du rire d’un enfant, de la sagesse d’un vieillard. Il nous serait alors impossible de ne pas voir le miracle de la vie prendre forme sous nos yeux.
(Extrait tiré de “Tout Passe – comment vivre les changements avec sérénité, éditions Édito )